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EXPATRIATION ET CONFINEMENT : « VIS MA VIE DE SUIVEUR »

Le confinement on le sait, représente un chamboulement pour la plupart des gens. Dans le monde complexe de l’expatriation, vit une population déjà surentrainée au confinement, et pour qui, l’isolement est souvent une vertu :  ceux que j’appelle les « suiveurs ». (cf Expatriation: ces “suiveuses” en perte d’identité)

Le conjoint suiveur, que je suis amenée à rencontrer dans mes consultations, est le plus souvent, enraciné dans les devoirs domestiques, face au conjoint qui « travaille ». Il est celui qui s’adapte aux impératifs du « conjoint partant ». Il est le chef d’orchestre d’une musique d’intérieur, le point d’ancrage autour duquel vont et viennent l’ensemble des membres de la cellule familiale. Il est celui sur qui repose la réussite de l’expatriation : il gère la mise en place et l’intendance d’un nouveau quotidien, avec de nouvelles habitudes ; il régule les incompréhensions et instabilités de chaque membre de la famille ; il s’assure que le foyer est suffisamment stable pour que chacun puisse vaquer à ses occupations. Le conjoint « actif » pourra se concentrer sur ses nouvelles modalités professionnelles, car les affaires du monde l’appellent au dehors. Les enfants pourront s’épanouir au mieux à l’école et dans leurs activités extra scolaires. Pendant ce temps, le conjoint suiveur tempère et harmonise la maisonnée. A ce régulateur discret de se satisfaire de cette « réussite dans l’ombre ».

Dans ce contexte, le couple est d’autant plus surinvesti qu’il reste le seul groupe offrant une sécurité.  En effet, le « suiveur » en expatriation est, dans bien des cas, dans un vide statutaire et identitaire, du moins au début. Il a en général accepté les concessions d’une rupture professionnelle momentanée qui déstabilise automatiquement sa reprise professionnelle. Aux aléas classiques de ce vide se surajoute l’éloignement de son environnement personnel (familial, amical et social). Alors s’installe la sensation d’isolement et de solitude, la baisse de confiance en soi, la difficulté à accepter la situation de dépendance financière, la frustration intellectuelle de ne pas s’épanouir professionnellement, jusqu’à la colère de se sentir incompris ou mal perçu par l’entourage. La frustration se creuse entre le conjoint qui rentre le soir encore chargé des préoccupations d’une vie professionnelle et les attentes de communication de celui qui est resté confiné pendant la journée. Nombreuses sont les attentes et les exigences qui reposent sur les épaules du conjoint « actif », responsable de leur Odyssée, comme de cette vie de renoncements. Pouvoir en parler est pratiquement impossible. Se plaindre lorsque les conditions de vie du suiveur sont vécues par l’entourage resté dans le pays d’origine comme idylliques, avec une situation matérielle reconnue ou fantasmée comme enviable, n’est pas envisageable. Nombreux sont les conseils culpabilisants de certains prêcheurs qui, trouvent la situation admirable et qui ont une idée très précise de la façon dont ils auraient « à leur place » profité de ce temps pour peindre, écrire un livre, ou prendre des cours de piano.

En cette période de confinement, j’observe que ces spécialistes de l’isolement s’amusent parfois de voir le monde plongé brutalement dans un mode de vie qui leur est tellement familier. Il se dégage chez certains patients qui me consultent une forme de jouissance cynique à la perspective que le partenaire travailleur « en poste » puisse enfin découvrir, à travers le confinement, une ébauche de ce qu’ils vivent, eux, au quotidien. « Bienvenue dans vis ma vie » ironisait ce patient, infirmier de formation expatrié aux USA, ayant suivi son épouse en poste. « Les mêmes qui m’expliquaient comment occuper mes journées se retrouvent à tourner en rond en pyjama, et vous voulez que je vous dise, je me marre ». Aujourd’hui, chacun a le tournis face aux nombreux sites, articles, émissions télé et radio qui s’empressent de donner des idées au monde pour éviter l’ennui, être productif, se cultiver, bouger, cuisiner. La page blanche est mondiale, le vide et l’ennui guettent. On fait comme si le vide devait se combler…

Si ces problématiques préexistaient au Covid 19, elles se retrouvent parfois accentuées, notamment avec la fermeture des écoles et le télétravail : le suiveur en famille se retrouve prisonnier d’un modèle traditionaliste dans lequel l’un travaille devant son écran (et à travers lequel se justifie la présence de la famille dans le pays) et l’autre doit gérer l’intendance de la maison, l’école à domicile et la garde des enfants. La tentation est grande de clamer plus de répartition des tâches, vite rattrapée par la culpabilité de ne pouvoir justifier de contraintes professionnelles. Cette ambivalence conduit souvent à un sentiment de colère contenue puisqu’impossible à exprimer et une sensation d’être pris(e) au piège.

Dans ce contexte, où sont exacerbées les tensions, le couple parental doit tenter de maintenir les rituels de la vie quotidienne, et inventer un nouvel emploi du temps. Préserver le couple passe par la participation de tous les membres de la famille. Il est essentiel d’établir des règles de vie commune, des moments d’étude, de loisirs, ensemble mais aussi chacun de son côté. Le couple doit s’aménager un espace-temps imperméable aux enfants. Le respect du temps de chacun s’impose.

En thérapie familiale, on propose dans certains cas l’alternance éducative : chacun des parents accepte de prendre la responsabilité́ éducative en alternance une semaine sur deux. Je propose à certains de mes patients confinés d’appliquer cette prescription de tâche sur un temps plus restreint, 2 jours/2 jours. Celui qui n’est pas « en responsabilité » observe, sans mot dire. Ces exercices permettent en général de découvrir les compétences de chacun, de retrouver de la créativité plutôt qu’une rivalité.

Les couples sans enfant, devront apprendre à ritualiser leur vie entre le temps du travail et le temps du couple sans interférence et chercher à instaurer et respecter leur frontière individuelle propre. Imaginer ensemble un projet pourra être l’espace créatif du couple. Il est plus sain de projeter sur la relation que sur l’autre.

Cette période de confinement obligatoire est riche d’observations. C’est un moment où chacun peut apprendre de l’autre, où une rencontre peut se faire. L’heure est au rééquilibrage de la cellule familiale, un des sujets récurrents de nos consultations en ligne aujourd’hui. Dans ce contexte, la thérapie en ligne est un outil tout à fait adapté et crée un espace-temps et une place pour l’intime. Les questionnements s’orientent vers une perspective de choix nouveaux pour ceux qui veulent durer positivement.

On peut imaginer que cette expérience va permettre des prises de conscience, et pour certains un nouveau départ, vers la recherche d’une meilleure qualité de vie. A l’annonce du confinement on sait que beaucoup ont quitté́ les villes, appris le télétravail et envisagent aujourd’hui la possibilité́ de se délocaliser. Tous les couples n’auront pas l’opportunité de trouver ensemble un poste qui leur convienne et ce sera l’heure des choix. Il y aura des suivis, et des suiveurs, sans nécessaire expatriation.

 

Marion Saintgery, psychologue clinicienne, thérapeute de couple et de famille, spécialisée dans les problématiques de l’expatriation et l’accompagnement des humanitaires sur le terrain.

3 réflexions au sujet de “EXPATRIATION ET CONFINEMENT : « VIS MA VIE DE SUIVEUR »”

  1. Excellent article où les suiveurs semblent satisfaits que les autres sachent ce qu’est qu’être suiveur .
    Le passage de la blanche mondiale est très bon .le modèle éducatif me semble également une excellente idée .

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