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LA THERAPIE DE COUPLE EN LIGNE – 1 COUPLE, 1 PSY, 3 ECRANS

Marion SAINTGERY – Psychologue clinicienne – Thérapeute de couple et de famille – Spécialisée dans les problématiques de l’expatriation et l’accompagnement des humanitaires sur le terrain.

La thérapie de couple en cabinet suppose que les partenaires soient, le plus souvent, assis côte à côte, face au thérapeute. Le thérapeute et les patients sont contenus dans le même espace, le bureau du thérapeute. Dans ce contexte, le contact visuel du couple est limité.

Lorsque j’ai commencé à recevoir des patients en visioconférence, il y a une quinzaine d’années, la qualité de connexion en expatriation, notamment en Afrique, ne permettait pas d’imaginer recevoir plus d’une personne en séance. Puis les connexions ont évolué. Je ne peux m’empêcher de sourire au souvenir des balbutiements des réglages lors des séances, chacun tentant de « rentrer dans le cadre », le couple se retrouvant parfois dans l’obligation de se coller, alors qu’ils sortaient tout juste d’une dispute. Combien de séances à l’époque n’ont-elles pas démarré avec pour interlocuteurs un bout d’épaule à gauche de l’écran et une oreille à droite, pour finir avec la vue sur le plafond du salon.

Aujourd’hui, les thérapies en ligne, tant individuelles que de couple ou de famille, se sont généralisées et la question n’est plus de savoir si internet peut ou non être le vecteur d’une pratique thérapeutique, mais plutôt d’utiliser l’outil le plus efficacement possible, sans céder sur la déontologie. (cf art : la thérapie en ligne : un espace virtuel mais réel) Dans ce contexte, l’espace thérapeutique réunit trois lieux qui se superposent : chez le thérapeute, chez les patients et l’interface de rencontre, la plateforme numérique.

M’étant spécialisée dans les problématiques liées à l’expatriation en parallèle de ma pratique privée en cabinet, il m’a fallu affiner et adapter ma façon de travailler en fonction de l’outil. J’ai cherché comment accompagner au mieux ces couples qui, pour des raisons diverses, n’avaient pas d’autre possibilité d’être aidés qu’en faisant appel à un thérapeute « à distance ». C’est ainsi que j’ai initié ce que j’appelle la thérapie à trois écrans.

Lorsque je reçois des couples en visioconférence, je demande à chacun des partenaires, dans la mesure du possible, de se poster dans une pièce différente de la maison, munis chacun d’un écran. Cela permet quelque chose d’assez inédit: un contact visuel, tant avec le thérapeute qu’avec le partenaire. Le couple se voit.

Voir et être vu permet aux membres du couple de trouver ou de retrouver un sentiment d’existence. Le regard en face-à-face des trois protagonistes (couple + thérapeute) amène une symétrie formelle de la relation thérapeutique, ce qui apporte une atmosphère différente du travail en présentiel. Certains couples en crise ont désappris à se regarder, à s’écouter, à s’observer. Je constate que grâce à cette proposition, les couples ont moins tendance à reproduire en séance ce qu’ils font à la maison, se coupent moins la parole en ayant la possibilité de se regarder l’un, l’autre, et semblent se tenir plus en respect. Comme si le fait de se voir apportait une fonction de pare-excitation contenante.

La thérapie de couple à trois écrans permet aux patients de voir, d’être vus, d’être rassurés de leur existence propre, d’être reconnus par le partenaire, par le thérapeute, et ressentis dans cette même réciprocité. De plus, chacun peut avoir son propre espace personnel pendant les séances, ce qui peut être utile pour explorer des sujets sensibles. Enfin, s’il fallait le rappeler, la thérapie de couple en ligne offre l’avantage considérable d’une possible continuité lorsque l’un ou l’autre des partenaires est en voyage.

PROTOCOLE DE SOUTIEN A LA PARENTALITE EN CONTEXTE D’EXPATRIATION

Marion SAINTGERY  – Psychologue clinicienne – Thérapeute de couple et de famille – Spécialisée dans les problématiques de l’expatriation et l’accompagnement des humanitaires sur le terrain.

Les parents d’aujourd’hui sont souvent sujets au doute. La psychologisation à outrance des médias les a conduits à lire, regarder les émissions pour « mieux éduquer » et cette surexposition les plonge dans une crainte de mal faire. Chacun se retrouve à devoir légitimer sans cesse sa manière d’éduquer son enfant. Entre éducation conservatrice stricte et éducation laxiste et permissive, les nouveaux parents oscillent, tout en ayant conscience des limites de ces deux systèmes. Ils sont donc confrontés à une page vide : comment inventer une façon d’éduquer plus adaptée au monde d’aujourd’hui ? Dorénavant, chacun doit inventer son rôle de parent, la place qu’il occupe. Certains sont désemparés voire démunis face aux trésors d’oppositions que développent leurs enfants. Les choses se compliquent considérablement lorsque ces parents, déjà en proie à ces interrogations éducatives, se retrouvent plongés dans le milieu de l’expatriation.

S’expatrier confère des avantages considérables comme celui de la découverte et de tout ce que cela suppose d’apprentissages, d’adaptabilité, de la possibilité de se réinventer à différents niveaux, libérés des représentations de l’entourage sur sa propre histoire.

Elle peut entraîner également tout un lot de désavantages comme la perte de repères, failles identitaires, baisse de l’estime de soi, dépression, etc.

Confrontés à une perte d’appartenance, il arrive que certains parents déjà fragilisés, se sentent perdus une fois sur place, et questionnés dans leur légitimité parentale.

  • Loin du contenant d’une famille élargie, ils ne peuvent plus se tourner vers eux pour demander de l’aide.
  • Chamboulés dans leur identité propre, ces parents se sentent trop vulnérables pour poser des limites et des repères à leurs enfants.
  • Cadrer présente à leurs yeux une menace de désamour et un risque de souffrance pour l’enfant. Ils sont aux prises avec la culpabilité d’avoir éloigné leurs enfants du reste de la famille, de leurs amis, de leurs repères, et ont tendance à projeter sur eux leur propre angoisse. Il devient alors très compliqué pour les parents de se sentir légitimés à dire non à leurs enfants. Ils ont déjà le sentiment des les avoir privés de leurs racines, il est donc exclu de les frustrer davantage.
  • Le contexte d’expatriation a souvent pour conséquence une omniprésence à la maison de l’un des parents, encore souvent la mère. Ayant perdu son appartenance professionnelle et sociale, elle aura tendance à surinvestir l’enfant. Dans ce contexte, la fonction paternelle séparatrice a du mal à se faire une place, car le conjoint sent bien que ce rôle de mère prend une fonction structurante.

C’est ainsi que ces enfants se retrouvent érigés au statut d’enfant roi, renforcés dans leur toute puissance par des parents en proie au doute, qui s’évertuent à tenter de combler leurs supposés manques et à les frustrer le moins possible. Il n’est pas rare d’assister à des scènes de sortie d’école pendant lesquelles les parents sont piétinés, disputés, bousculés par leurs enfants, sans qu’ils semblent trouver cela inapproprié.

Lorsque ces parents viennent consulter, c’est parce que les enfants se sont petit à petit installés dans des conflits autour du sommeil, de l’alimentation, de l’acquisition de la propreté, d’autonomie, de problèmes de limites (insolence, violence), problèmes scolaires.

C’est dans ce contexte et face à la fréquence de ce type de demandes, que j’ai mis en place un protocole de soutien à la parentalité en contexte d’expatriation afin d’aider les parents à reprendre leur place, faire émerger leurs compétences et reprendre confiance en leurs capacités éducatives. Il s’agit, à travers ces étapes, d’apprendre à différencier amour et éducation, de sorte que cadrer ne soit plus synonyme de désamour dans leurs propres représentations.

1.    Travail sur le sentiment de légitimité des parents et explication de la fonction des limites

Mettre des limites à ses enfants implique de se sentir le droit de le faire, de se penser « légitime » dans sa place de parent. Beaucoup des parents qui consultent disent avoir eux-mêmes souffert de la tyrannie des adultes et ne pas vouloir faire subir ce qu’ils ont eux-mêmes subi. Pour mettre sans trop d’angoisses des limites à ses enfants, il faut aussi savoir à quoi elles servent. Notre époque a tendance à méconnaître l’importance des limites dans l’éducation. De ce fait, les parents ont souvent l’impression qu’ils les mettent pour eux, pour  » avoir la paix  » ou pour adapter leur enfant à la société. Ils ont donc mauvaise conscience, peur de lui faire violence, d’aliéner sa liberté, de casser sa personnalité. Peur d’abuser de leur pouvoir.

Il est expliqué aux parents qu’un enfant sans limites n’est pas  » libre « , car il est l’otage de ses pulsions, et il vit dans l’angoisse. Livré à lui-même, il n’a pas d’autre guide que sa satisfaction immédiate. Il veut quelque chose ? Il le prend. Il n’est pas content ? Il frappe ou casse. L’enfant à qui l’adulte ne met pas de limites n’apprend jamais à s’en mettre à lui-même. Il est comme emporté par ses envies. Incapable de se contrôler, il vit dans l’angoisse.

Il s’agit, lors de cette étape, de faire comprendre aux parents qu’un adulte laxiste n’est pas un adulte rassurant pour un enfant. Les enfants, d’ailleurs, savent intuitivement l’importance des limites car ils les réclament. Pousser les adultes à bout est en général, pour eux, une façon de d’en demander.

2.    Travail « d’observation » du thérapeute : 

Il est demandé aux parents de faire un déroulé chronologique de la journée, du lever au coucher. Qu’est-ce qu’ils attendent de leurs enfants ?

Comment se réveillent ils et à quelle heure ? Faut-il revenir plusieurs fois ? (On apprend que c’est souvent les enfants qui réveillent les parents, quand ils ne dorment pas avec eux). Est-ce qu’ils s’habillent seuls ? Vêtements préparés la veille ou le jour même ? Qui prépare le petit déjeuner ? Est-il pris en famille ? Dans quelle ambiance ? Est-ce que les enfants mettent ou débarrassent la table ? Préparation du cartable la veille ou le jour même ? Configuration de la maison, chambres, qui dort avec qui ? salle de jeu ? Activités ?

Même chose pour le retour du midi ou après-midi. Qu’est ce qui est attendu d’eux dans les rituels de retour à la maison ? Lavage de mains ? Un temps pour jouer ? Devoirs dans l’immédiat ou plus tard ? Seuls ou avec un parent ?  Ou est posé le cartable ? Accès aux écrans ? TV, portables, ordinateurs et où sont-ils situés dans la maison ? Entretien de la chambre ? Faut il faire le lit, et qui ? Heure de douche, rituel de diner (en famille ?), rituel de coucher et horaire et toutes les résistances auxquelles ils sont éventuellement confrontés. Est-ce qu’il arrive que les parents sortent ? Qui intervient pour les garder et comment ça se passe ?

3.    Travail sur la représentation des parents de « la famille idéale » : 

Qu’est-ce qu’une famille idéale selon eux ? Des exemples autour d’eux ou pris dans la littérature, cinéma, etc. Quel modèle ont-ils reçu et quel modèle ont-ils fantasmé pour eux-mêmes au départ ?  Quelles seraient les règles/modifications d’organisation qu’ils pourraient introduire dans leur quotidien afin de l’alléger ? Il s’agit là d’encourager la créativité des parents, en faisant appel à leurs modèles ou contre modèles et en valorisant leurs compétences parentales.

A cela s’ajouteront les propositions très pragmatiques du thérapeute au regard des disfonctionnements, discutées avec les parents, dans le respect de leur histoire et de leur culture familiale.

4.    Travail sur les mesures de rétorsion des parents :

Qu’est-ce qu’ils utilisent ? Dans quel contexte ? Qu’est ce qui marche et ne marche pas ? Qui des deux parents est vécu comme plus respecté, plus autoritaire ? Quelles sont les compétences de chacun des parents (sur un mode circulaire) ?

Il leur est demandé de lister ensemble une dizaine de mesures de rétorsion, de la plus petite à la plus grande (à appliquer en fonction de l’intensité de la bêtise), en accord avec leurs valeurs et qu’ils puissent tenir jusqu’au bout. Sorte de « carton jaune » qu’ils pourront utiliser si besoin sans être dépassés ou culpabilisés par la menace qu’ils brandissent. L’idée étant évidemment de tenir cette mesure jusqu’au bout.

Utilisation de la règle du 1,2,3. « 1 »- Calmement le parent rappelle la règle et le comportement attendu. « 2 » – il énonce de nouveau la règle et annonce quelle sera la mesure de rétorsion si l’enfant persiste. « 3 » – Le parent applique la punition.

5.    Tâche à faire à la maison : La réunion familiale

Il est demandé aux parents de faire une réunion familiale au cours de laquelle les enfants auront d’abord la parole. Les parents devront demander aux enfants ce qu’ils ont compris que l’on attend d’eux du lever au coucher et plus généralement ce que l’on attend de leur comportement. Ils vont lister (pour les plus grands), dessiner pour les plus petits, sur une même grande feuille, ce qu’ils identifient comme les tâches et comportements attendus sur le déroulement de la journée. Le moment est censé être ludique et détendu. Ex : On doit se lever à 7h, s’habiller et descendre prendre notre petit déjeuner. Ensuite, on doit mettre notre goûter dans nos cartables et aller se brosser les dents…etc.

Ils vont également lister sur une autre feuille les valeurs et les règles familiales « on doit – on ne doit pas ». C’est l’occasion pour l’ensemble du groupe de rappeler les valeurs de respect, de non-violence, de politesse et d’hygiène.

Dans un deuxième temps ; les parents vont intervenir et ajouter ce qui aura été oublié et/ou annoncer les nouvelles règles de la maison qui seront notées sur cette production familiale.

L’ensemble de ce travail, écrit et illustré par les enfants, sera affiché dans un endroit bien visible de la maison.

Il est annoncé aux enfants que si l’une de ces mesures n’est pas respectée à partir de maintenant, il y aura punition. (Il est demandé aux parents de ne pas annoncer la liste des punitions à l’avance).

Il est intéressant de noter que l’ambiance familiale change en général radicalement dès le lendemain, les enfants se prenant au jeu, allant jusqu’à rappeler parfois à leurs parents qu’ils n’ont pas respecté leur part du contrat. Évidemment, vient au bout de quelques jours/semaines, le moment pour les enfants de tester le cadre, d’où l’importance d’un accompagnement des parents dans ces premiers pas.

6.    Mise en pratique et accompagnement des parents

Au cours de ces séances, il est rappelé aux parents l’importance de l’encouragement et de la valorisation des enfants, la nécessité d’aller au bout de leurs décisions, de faire front ensemble et de ne pas discuter des décisions prises par l’un ou l’autre des parents devant les enfants. Il leur est conseillé de passer plus de temps individuellement avec chacun des enfants (5 min de ballon, un tour de pâté de maison..) sans mettre nécessairement la barre trop haut. Il leur est rappelé d’appliquer la sanction immédiatement après que la règle a été enfreinte, et si l’enfant est jeune, de se mettre physiquement à son niveau afin de pouvoir lui parler yeux dans les yeux.

Le thérapeute demande aux parents de noter, entre les séances, les moments où ils n’ont pas réussi à faire entendre leur voix et pourquoi. L’utilisation de l’alternance parentale peut être intéressante lorsque la confiance est éprouvée entre les parents.

7.    2 semaines plus tard, nouvelle réunion familiale. 

Les enfants sont de nouveau amenés à prendre la parole. Les parents leur demandent ce qu’ils pensent de cette nouvelle organisation. Qu’est-ce qu’ils voient à améliorer ? Qu’est ce qui leur pose éventuellement des problèmes ? Les parents en font de même.

Dans un deuxième temps, les parents demandent aux enfants ce qu’ils ont compris de l’éducation qu’ils ont eux-mêmes reçue de leur grands-parents. C’est l’occasion de rattacher le groupe à une histoire familiale souvent méconnue des enfants, et ce d’autant plus qu’ils sont loin de leurs racines.

Ces dernières années, les limites parentales ont été assimilées à « un abus de pouvoir », comme s’il suffisait d’aimer ses enfants pour qu’ils s’épanouissent. Ce protocole de soutien à la parentalité a pour but de remobiliser la créativité familiale, déculpabiliser les parents et réintégrer le groupe dans son histoire et sa culture propre. Il tente d’aider les parents à reprendre leur place d’éducateurs. Il n’a bien sûr aucune visée normative. Il s’agit avant tout de décrypter le malaise familial et le message que le ou les enfants envoient aux parents à travers leurs oppositions, leurs crises et/ou leurs symptômes. Il est important de rappeler que ce n’est pas l’amour ici qui fait défaut mais la légitimité à tenir son rôle d’éducateur, à dire non quand on le juge nécessaire.

COVID 19 – QUAND LA FIBRE DE L’EXPATRIATION EST MISE A MAL

Le monde actuel est mis à l’épreuve de l’isolement. Chacun est confronté à sa propre vulnérabilité et à son impuissance face à la pandémie et aux décisions politiques de confinement qui évoluent d’un pays à l’autre. Certains décrivent avoir le sentiment de se faire voler des heures et des minutes de vie. A l’heure où le bonheur et le contrôle de son temps sont posés comme des dogmes, des marqueurs de réussite : « J’existe car je fais », voilà que nos libertés fondamentales nous sont retirées. Précisément la liberté de faire, d’aller et de venir, de rencontrer nos familles, nos amis, de nous rendre dans des lieux publics. Nos projets de vie se figent, dans l’attente du retour à la vie normale. Nous n’avons plus le choix : c’est un principe de réalité.

Pour l’expatrié, le confinement a ceci de spécifique qu’il le renvoie à sa décision d’avoir quitté son pays et sa famille. Il est celui qui est parti, donc absent, celui qui a fait le choix de cette vie d’éloignement, d’un relâchement de ses attachements filiaux et amicaux, pour des raisons professionnelles ou personnelles. Loin de ses racines, il se retrouve dans une double peine : celle du confinement et de la culpabilité d’être loin.

Le corps dans son pays d’accueil, l’esprit dans sa contrée d’origine : tel est, l’état d’esprit de nombreux expatriés dans cette période d’incertitudes, déchirés entre cette double appartenance à une terre natale et à un pays d’adoption.

« Je n’y croyais pas beaucoup au départ à cette histoire d’attachement au pays de naissance mais en fait, c’est vraiment ça, j’ai envie de rentrer chez moi » Cécile, expatriée en Afrique.

Les expatriés restés en terre d’accueil sont suspendus aux nouvelles de chez eux, loin, mais informés en temps réel. Plus connectés que jamais, toutes générations confondues, ils se réfugient dans les bulles digitales pour à peu près tout : travailler, faire l’école aux enfants, garder du lien avec la famille, s’informer, se divertir dans sa langue, se faire livrer quand le pays le permet, et essayer de supporter l’isolement. Tous très différents, mais tous connectés sur les mêmes plateformes, réseaux sociaux, sites d’information, fers de lance de la pensée unique et de la bien-pensance : ils ne font pas l’économie de toutes les propositions normatives qui foisonnent sur la toile, sur la façon dont on devrait idéalement se comporter en confinement : modes d’emploi « soutenants », guides « du bon confiné », enquêtes, conseils, sites de « bonnes idées », sondages, témoignages qui s’emploient à dégager des axes de perspectives, de jugements et d’actions à mettre en place avec l’idée sous-jacente que ce serait le seul chemin possible pour un confinement réussi. Tout devient sujet à culpabiliser : être loin, ne pas s’occuper de ses parents, de sa famille isolée, ne pas atteindre la moyenne de rapports sexuels par semaine des couples confinés, être parent divorcé privé de fait de son droit de visite, ne pas faire assez de sport alors qu’il y a tant de cours en ligne, « ne rien faire » alors qu’il y a tant de sites de référence pour éviter l’ennui, manger plus alors que c’est « le moment rêvé pour faire un régime », … la liste est longue. Cette mode du conformisme touche bien évidemment l’ensemble des sociétés contemporaines, mais semble avoir une résonnance plus particulière, actuellement, chez les expatriés, déjà enclins à la culpabilisation. Encore plus exposés que d’habitude aux sollicitations à faire comme les autres, ils finissent par éprouver un besoin de remettre en question l’originalité de leurs choix, pour ne pas se trouver encore plus éloignés, pour survivre socialement dans un monde incertain.

Ces derniers mois, en thérapie, il semble que s’opère, chez un certain nombre d’expatriés, une évolution de la représentation qu’ils se font de l’expatriation, et qu’ils tendent à réévaluer leurs priorités.

« Je pensais vivre toute ma vie à l’étranger. C’était mon rêve. Mais ce confinement m’a fait comprendre que j’avais besoin de racines. J’ai envie de poser mes bagages et profiter de ma famille. Mes parents vieillissent. J’ai envie d’être là. » Sandrine, expatriée aux États-Unis.

La vision attirante de l’expatriation semble perdre de son attrait. Les bénéfices d’une vie plus ordinaire, au contraire, redeviennent une priorité : resserrer les liens familiaux, pouvoir bénéficier de systèmes de soins de confiance, etc.

« Ce qui se passe en ce moment me fait davantage réaliser que l’on n’est rien, que tout peut basculer du jour au lendemain », me confiait Nicolas, humanitaire expatrié.

Il semble que la Covid-19 ait ravivé les notions de risques et d’incertitudes qui constituaient jadis l’expatriation. La fermeture des frontières, qui survient de manière sporadique, en fonction de la situation épidémique, les empêche de rentrer dans leur pays d’origine, et crée également une incertitude sur la possibilité de pouvoir revenir ensuite dans leur pays d’expatriation. C’est la nature même de ce choix de vie permettant à un expatrié de vivre entre deux pays, qui est remise en cause. De plus, être empêché de se rendre aux funérailles d’un proche, de présenter bébé à ses grands-parents ou de rejoindre son conjoint pendant de longs mois, ont des impacts lourds. A cela s’ajoute parfois la pression des parents, et/ou amis, exprimée ou ressentie, qui est souvent source supplémentaire de détresse et de souffrance. « Tant que tu seras célibataire et expatrié là-bas, je ne trouverais pas le sommeil » répète inlassablement cette maman à l’un de mes patients. Nombre d’expatriés, prennent par conséquent la décision de « rentrer » au pays, auprès de leur famille qui fait figure de dernier refuge.

Cette situation exceptionnelle de pandémie n’est pas un moment propice pour prendre des décisions d’une telle importance, par défaut ou sous l’emprise d’un conformisme aveuglant. Cette crise met à l’épreuve, non seulement nos capacités de décision, mais aussi nos capacités d’adaptation. Face à l’excès d’informations, ou encore aux informations contradictoires, il convient d’accepter la part d’incertitude et de lâcher prise. C’est en travaillant sur l’autonomie de pensée et en revisitant, pour chacun, son histoire singulière, ses motivations premières, qu’il est possible de sortir progressivement d’une culpabilité paralysante. Il faut absolument comprendre qu’il n’y a pas de famille normale, « idéale » puisque chacune crée sa propre identité, sa spécificité, et doit, pour cela, se démarquer des autres. De même qu’il n’y a pas de mode d’emploi du « confinement réussi », ni de profil type du « bon parent ou du bon enfant ». En famille, comme dans toutes les institutions, les décisions sont d’autant plus efficaces qu’elles sont prises dans un climat qui fait appel à la conviction plutôt qu’à la contrainte. La thérapie en ligne peut permettre, dans cette période d’isolement, un suivi, afin de travailler sur ces fausses perceptions culpabilisantes et s’éloigner des schémas normatifs qui bloquent la créativité et l’adaptabilité des individus, couples et famille dans ce contexte.

Marion Saintgery – Bourgarel, psychologue clinicienne, thérapeute de couple et de famille, spécialisée dans les problématiques de l’expatriation et l’accompagnement des humanitaires sur le terrain.

LA DOUBLE CULPABILITÉ DE L’HUMANITAIRE

Peut-on imaginer plus belle ambition collective que de porter secours, là où les hommes souffrent et meurent ? Fournir aide et assistance à tous, témoigner au monde et œuvrer sur le terrain afin qu’aucune tyrannie ne puisse durablement s’installer en silence : Ce sont sur ces impératifs que l’humanitaire s’est développé. Mais en pratique, travailler dans ce domaine nécessite de jongler avec certains paradoxes qui font la vie de l’humanitaire : l’adrénaline que convoque cette mission à laquelle s’oppose un besoin de stabilité, les conditions extrêmes vécues sur le terrain qui contrastent avec le socle réconfortant de la vie « ordinaire » laissé à la maison.

Travaillant dans des contextes souvent difficiles, les humanitaires placent le travail avant tout le reste, puisque peu d’autres repères durables les ancrent à leur lieu de vie. Le déracinement est réel, et le travail prend le relai d’une famille qu’on ne voit que quelques semaines par an. Le métier est à risque, physiquement mais aussi psychologiquement : risques d’épuisement psychique, de stress cumulatif, d’accumulation d’émotions douloureuses face aux victimes, risques de stress post traumatique, d’épuisement professionnel, etc.

Lorsque j’ai commencé travailler avec des humanitaires en mission sur le terrain, il y a 10 ans, je m’attendais à ce que la plus grande source de stress pour eux soit le fait d’être confrontés aux histoires de vie tragiques, aux images de guerre, de viol, de violence, de torture, et de mort. J’ai été frappée par le fait que ce n’était généralement pas ce qui motivait la demande en séance. Il s’agissait plutôt d’allégations touchant à la vie personnelle. J’ai pu observer que ces patients étaient aux prises avec ce que j’ai appelé une double culpabilité : l’une générée par un sentiment d’impuissance sur le terrain, et l’autre par le décalage identitaire au retour chez soi.

SUR LE TERRAIN

Affectés dans des pays détruits par la guerre, ou par des catastrophes naturelles, les humanitaires sont souvent confrontés à des situations qui mettent leur vie en péril, les place en témoins d’exactions cruelles, ou les confrontent à des populations en détresse. C’est une vie de contraintes, de don de soi, dans des conditions de travail difficiles : disponibilité (horaires imprévisibles et irréguliers), mobilité importante, (déplacements, célibat géographique), résistance dans l’urgence, sous pression, prises de décisions rapides et parfois vitales, sont autant de qualités qu’ils doivent mobiliser.

Face à l’ampleur de la souffrance humaine, l’humanitaire accumule parfois une frustration et un sentiment d’impuissance érodant sa motivation et son énergie. Il développe un sentiment de culpabilité lié à l’impossibilité de changer les choses, face à l’injustice : la frustration, la colère l’amènent au découragement. Ces ressentis combinés à la fatigue et au stress, peuvent contribuer à l’épuisement professionnel et mener à ce moment où le corps dit « stop » et ne peut plus aller de l’avant.

À comparer leur vie avec celle des personnes en difficulté, les humanitaires finissent par percevoir leurs besoins et souffrances comme négligeables. Ils développent une sorte de fatigue de compassion. Leur besoin de repos, de se déconnecter du travail, et même une simple pause déjeuner peuvent être perçus comme luxueux et indécents face aux besoins de nourriture, d’abris et de sécurité du monde alentour. Par conséquent, dire « non », poser des limites devient difficile et s’accompagne de culpabilité. De la même manière, leurs problèmes personnels peuvent paraître insignifiants. Ils ne méritent pas leur attention et ils peuvent se sentir coupables de leur accorder du temps ou de l’énergie.

RETOUR À LA MAISON

L’humanitaire est par définition quelqu’un qui part. Par opposition, leurs familles et amis sont « ceux qui restent ». Le retour à la maison ne va pas de soi. C’est un moment de confrontation à une autre réalité, à une autre temporalité, à une autre appréhension de « l’urgence ». Lorsqu’il rentre, l’humanitaire est rarement accueilli en « sauveteur », tel que cela peut être perçu plus généralement dans l’inconscient collectif. Au titre glorieux d’humanitaire s’oppose l’image culpabilisante de « l’absent ». La réintégration au sein de la cellule familiale et sociale s’avère souvent plus complexe qu’attendu. Lors de ses retours à la maison, il prend souvent toute la mesure du fait que la famille et les amis restés sur place ont dû fonctionner sans lui. Il est confronté à la culpabilité de ce vide qu’il a laissé. L’un de mes patients me livrait sur un ton coupable : « Il y a des anniversaires, des fêtes ou des Noëls en famille que l’on rate forcément. Ils font semblant de ne pas nous en vouloir, on fait semblant de ne pas s’en mordre les doigts« .

De son côté, l’humanitaire a le sentiment que ses proches ne peuvent pas comprendre ce qu’il a vécu et communique donc peu sur ce qu’il vient de vivre. A contrario, l’entourage en attente de partage, reste dans la frustration du silence.

Enfin, il doit faire l’effort de se réadapter à la vie normale sous peine d’être totalement déconnecté de la réalité et de la souffrance de son entourage : Retrouver la capacité de compatir par exemple à l’indignation d’un ami qui a attendu deux heures à La Poste n’est pas chose facile et reste cependant la clé d’une reconnexion. Certains humanitaires culpabilisent lorsqu’ils perdent cette capacité d’indignation. Leur expérience aux contacts de population en détresse, a singulièrement et naturellement modifié leur échelle de valeur. « Il y a des missions où le niveau de fatigue, de stress, de trauma est assez élevé, me confie une patiente qui revient de Syrie. Et quand on revient, on a vraiment besoin de temps seul. On a les émotions à fleur de peau ».

DE LA NÉCESSITÉ QUE L’AIDANT SOIT AIDÉ

Par conséquent, le travail avec les humanitaires nécessite de prendre la mesure de cette double culpabilité, et de travailler sur la dualité entre la réalité de leur travail de terrain et leur vie personnelle.

Lorsqu’ils sont aux prises avec cette double culpabilité, ils ont tendance à considérer leurs besoins et leurs souffrances comme négligeables, et parallèlement ont tendance à mettre les autres à distance. Un sentiment de perte d’accomplissement personnel s’installe à un double niveau. La personne a le sentiment de ne pas y arriver, d’être incompétente professionnellement comme personnellement, et perd confiance en elle. Les humanitaires qui consultent décrivent ne plus savoir comment justifier leur choix, ni ce qui est « normal » de ce qui ne l’est pas, plongés dans une autre réalité d’existence.

Dans le travail thérapeutique, il s’agit de reconnaître cette souffrance personnelle, aider à sortir de cet isolement, retrouver du lien à l’autre, et retrouver sa place. Il faut réapprendre à prioriser ses propres besoins, à mettre en place des limites saines et à dire « non » sans se sentir coupable. La psychothérapie en ligne offre, dans ce contexte, l’avantage de pouvoir permettre un suivi sur le terrain, ainsi qu’une préparation, en amont, au retour dans la famille.

Marion Saintgery-Bourgarel, psychologue clinicienne, thérapeute de couple et de famille, spécialisée dans les problématiques de l’expatriation et l’accompagnement des humanitaires sur le terrain.

LA THERAPIE EN LIGNE, UN ESPACE VIRTUEL MAIS REEL

Lorsque j’ai commencé à proposer mes services de psychothérapie en ligne, il y a une dizaine d’années, la pratique était encore balbutiante en France. Nous étions quelques thérapeutes francophones sur la toile à proposer ce type de prise en charge par visioconférence. Pourtant, ce n’est pas une pratique récente. Née aux États-Unis, elle existe activement dans de nombreux pays depuis les années 90.

La psychothérapie en ligne s’est généralisée ces dernières années et le confinement actuel a, semble-t-il, fini de convertir un grand nombre de professionnels de la santé mentale à cet outil. Aujourd’hui, la question n’est plus de savoir si internet peut ou non être le vecteur d’une pratique thérapeutique, elle est de savoir comment utiliser le réseau sérieusement et le plus efficacement possible, sans céder sur la déontologie.

N’en déplaise aux sceptiques, remettant en question la qualité de l’alliance thérapeutique que l’on peut créer via cet outil, la psychothérapie en ligne est un vrai travail de thérapie. Elle n’a pas vocation à se substituer aux pratiques en cabinet, mais elle constitue une offre essentielle pour les personnes qui ne peuvent pas se déplacer, ou au contraire sont sans cesse en déplacement.

Après avoir travaillé quelques années en cabinet privé à Paris, j’ai repris le chemin de l’expatriation (déjà longuement sillonné pendant l’enfance). De pays en pays, principalement en Afrique, j’ai été confrontée à de nombreuses situations cliniques de personnes isolées ou trop occupées, parfois sans possibilité d’aide dans leur langue et dans leur culture. C’est alors que j’ai décidé de mettre mon expérience professionnelle au service des expatriés par visioconférence. Il y a 10 ans, nous étions confrontés aux problèmes de qualité de connexion qui rendaient compliquées voire impossibles les thérapies dans certains pays. Aujourd’hui avec les connexions haut débit et la généralisation de la fibre optique même en Afrique, la thérapie en ligne s’étend dans la plupart des pays du monde, avec une qualité d’image et de son qui permettent une fluidité des échanges et une lecture précise des expressions corporelles et de la présence émotionnelle. Dès le départ, j’ai rapidement constaté que ce système créait une bulle d’intimité, l’écran favorisant une désinhibition du patient, lui permettant de se libérer plus facilement d’un secret, par exemple.

Évidemment cet outil a ses limites, c’est pourquoi il m’a paru essentiel de créer un cadre de travail spécifique. Dans un contexte classique de thérapie en cabinet, l’attente du rendez-vous, le temps de déplacement pour s’y rendre, le passage par la salle d’attente, notamment, sont des moments qui permettent de préparer, assimiler ou intégrer plus facilement les séances. C’est pourquoi il faut, comme en cabinet, établir certaines règles, fixer un cadre. Dans le contexte de thérapie effectuée en ligne, je propose régulièrement des tâches à faire entre deux RDV, ou un travail de réflexion pour la séance suivante afin que le patient puisse avoir ce temps d’introspection nécessaire. Ce que l’on perd avec le contact physique (une démarche, une poignée de main, une attitude qui, parfois, nous en disent long sur la personne), on le rattrape d’une certaine façon par cette bulle d’intime que confère l’écran. Le cadre de la thérapie en ligne comporte notamment la ritualisation du décor en arrière-plan, la ritualisation de l’heure de la thérapie, autant que possible, une durée de séance limitée (1h maximum) et des prises de rendez-vous afin d’écarter l’illusion d’un ici et maintenant. Il ne s’agit en aucun cas pour les patients d’avoir quelqu’un en ligne, tout de suite, et ce 24h/24, 7j/7, sans rendez-vous. Les séances sont les mêmes qu’en cabinet, utilisant les mêmes points de vue théoriques. Enfin, les entretiens se déroulent dans le respect du code de déontologie des psychologues. N’oublions pas que nous travaillons essentiellement avec la parole. En cabinet, le patient sait que tout ce qui est dit est confidentiel, tout peut être exprimé sans filtre, dans un espace bienveillant. La thérapie en ligne ne déroge pas à ces critères. Face à l’ampleur de l’utilisation de cet outil, il est primordial d’en définir les limites d’ordre éthique. Il n’est absolument pas conseillé de prendre en charge des personnes souffrant de troubles sévères (hallucinations, délire) ou ayant besoin d’un traitement médical.

Il est intéressant de noter que les jeunes générations, biberonnées au numérique, s’adaptent plus facilement à ce mode de thérapie et acceptent généralement plus volontiers les entretiens en visioconférence. Pour conclure, si l’espace psychique de la consultation est virtuel, il n’est pas moins réel, la qualité de la parole et la potentialité de l’interprétation ne changent pas.

Marion Saintgery, psychologue clinicienne, thérapeute de couple et de famille, spécialisée dans les problématiques de l’expatriation et l’accompagnement des humanitaires sur le terrain.

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EXPATRIATION ET CONFINEMENT : « VIS MA VIE DE SUIVEUR »

Le confinement on le sait, représente un chamboulement pour la plupart des gens. Dans le monde complexe de l’expatriation, vit une population déjà surentrainée au confinement, et pour qui, l’isolement est souvent une vertu :  ceux que j’appelle les « suiveurs ». (cf Expatriation: ces « suiveuses » en perte d’identité)

Le conjoint suiveur, que je suis amenée à rencontrer dans mes consultations, est le plus souvent, enraciné dans les devoirs domestiques, face au conjoint qui « travaille ». Il est celui qui s’adapte aux impératifs du « conjoint partant ». Il est le chef d’orchestre d’une musique d’intérieur, le point d’ancrage autour duquel vont et viennent l’ensemble des membres de la cellule familiale. Il est celui sur qui repose la réussite de l’expatriation : il gère la mise en place et l’intendance d’un nouveau quotidien, avec de nouvelles habitudes ; il régule les incompréhensions et instabilités de chaque membre de la famille ; il s’assure que le foyer est suffisamment stable pour que chacun puisse vaquer à ses occupations. Le conjoint « actif » pourra se concentrer sur ses nouvelles modalités professionnelles, car les affaires du monde l’appellent au dehors. Les enfants pourront s’épanouir au mieux à l’école et dans leurs activités extra scolaires. Pendant ce temps, le conjoint suiveur tempère et harmonise la maisonnée. A ce régulateur discret de se satisfaire de cette « réussite dans l’ombre ».

Dans ce contexte, le couple est d’autant plus surinvesti qu’il reste le seul groupe offrant une sécurité.  En effet, le « suiveur » en expatriation est, dans bien des cas, dans un vide statutaire et identitaire, du moins au début. Il a en général accepté les concessions d’une rupture professionnelle momentanée qui déstabilise automatiquement sa reprise professionnelle. Aux aléas classiques de ce vide se surajoute l’éloignement de son environnement personnel (familial, amical et social). Alors s’installe la sensation d’isolement et de solitude, la baisse de confiance en soi, la difficulté à accepter la situation de dépendance financière, la frustration intellectuelle de ne pas s’épanouir professionnellement, jusqu’à la colère de se sentir incompris ou mal perçu par l’entourage. La frustration se creuse entre le conjoint qui rentre le soir encore chargé des préoccupations d’une vie professionnelle et les attentes de communication de celui qui est resté confiné pendant la journée. Nombreuses sont les attentes et les exigences qui reposent sur les épaules du conjoint « actif », responsable de leur Odyssée, comme de cette vie de renoncements. Pouvoir en parler est pratiquement impossible. Se plaindre lorsque les conditions de vie du suiveur sont vécues par l’entourage resté dans le pays d’origine comme idylliques, avec une situation matérielle reconnue ou fantasmée comme enviable, n’est pas envisageable. Nombreux sont les conseils culpabilisants de certains prêcheurs qui, trouvent la situation admirable et qui ont une idée très précise de la façon dont ils auraient « à leur place » profité de ce temps pour peindre, écrire un livre, ou prendre des cours de piano.

En cette période de confinement, j’observe que ces spécialistes de l’isolement s’amusent parfois de voir le monde plongé brutalement dans un mode de vie qui leur est tellement familier. Il se dégage chez certains patients qui me consultent une forme de jouissance cynique à la perspective que le partenaire travailleur « en poste » puisse enfin découvrir, à travers le confinement, une ébauche de ce qu’ils vivent, eux, au quotidien. « Bienvenue dans vis ma vie » ironisait ce patient, infirmier de formation expatrié aux USA, ayant suivi son épouse en poste. « Les mêmes qui m’expliquaient comment occuper mes journées se retrouvent à tourner en rond en pyjama, et vous voulez que je vous dise, je me marre ». Aujourd’hui, chacun a le tournis face aux nombreux sites, articles, émissions télé et radio qui s’empressent de donner des idées au monde pour éviter l’ennui, être productif, se cultiver, bouger, cuisiner. La page blanche est mondiale, le vide et l’ennui guettent. On fait comme si le vide devait se combler…

Si ces problématiques préexistaient au Covid 19, elles se retrouvent parfois accentuées, notamment avec la fermeture des écoles et le télétravail : le suiveur en famille se retrouve prisonnier d’un modèle traditionaliste dans lequel l’un travaille devant son écran (et à travers lequel se justifie la présence de la famille dans le pays) et l’autre doit gérer l’intendance de la maison, l’école à domicile et la garde des enfants. La tentation est grande de clamer plus de répartition des tâches, vite rattrapée par la culpabilité de ne pouvoir justifier de contraintes professionnelles. Cette ambivalence conduit souvent à un sentiment de colère contenue puisqu’impossible à exprimer et une sensation d’être pris(e) au piège.

Dans ce contexte, où sont exacerbées les tensions, le couple parental doit tenter de maintenir les rituels de la vie quotidienne, et inventer un nouvel emploi du temps. Préserver le couple passe par la participation de tous les membres de la famille. Il est essentiel d’établir des règles de vie commune, des moments d’étude, de loisirs, ensemble mais aussi chacun de son côté. Le couple doit s’aménager un espace-temps imperméable aux enfants. Le respect du temps de chacun s’impose.

En thérapie familiale, on propose dans certains cas l’alternance éducative : chacun des parents accepte de prendre la responsabilité́ éducative en alternance une semaine sur deux. Je propose à certains de mes patients confinés d’appliquer cette prescription de tâche sur un temps plus restreint, 2 jours/2 jours. Celui qui n’est pas « en responsabilité » observe, sans mot dire. Ces exercices permettent en général de découvrir les compétences de chacun, de retrouver de la créativité plutôt qu’une rivalité.

Les couples sans enfant, devront apprendre à ritualiser leur vie entre le temps du travail et le temps du couple sans interférence et chercher à instaurer et respecter leur frontière individuelle propre. Imaginer ensemble un projet pourra être l’espace créatif du couple. Il est plus sain de projeter sur la relation que sur l’autre.

Cette période de confinement obligatoire est riche d’observations. C’est un moment où chacun peut apprendre de l’autre, où une rencontre peut se faire. L’heure est au rééquilibrage de la cellule familiale, un des sujets récurrents de nos consultations en ligne aujourd’hui. Dans ce contexte, la thérapie en ligne est un outil tout à fait adapté et crée un espace-temps et une place pour l’intime. Les questionnements s’orientent vers une perspective de choix nouveaux pour ceux qui veulent durer positivement.

On peut imaginer que cette expérience va permettre des prises de conscience, et pour certains un nouveau départ, vers la recherche d’une meilleure qualité de vie. A l’annonce du confinement on sait que beaucoup ont quitté́ les villes, appris le télétravail et envisagent aujourd’hui la possibilité́ de se délocaliser. Tous les couples n’auront pas l’opportunité de trouver ensemble un poste qui leur convienne et ce sera l’heure des choix. Il y aura des suivis, et des suiveurs, sans nécessaire expatriation.

 

Marion Saintgery, psychologue clinicienne, thérapeute de couple et de famille, spécialisée dans les problématiques de l’expatriation et l’accompagnement des humanitaires sur le terrain.

EXPATRIATION : PARTIR OU RESTER ? UN CHOIX CORNELIEN FACE AU COVID 19

Les expatriés vivant en Afrique commencent à montrer des signes d’inquiétude. Si le continent est encore, officiellement, faiblement atteint, son système de santé n’est souvent pas adapté pour affronter la maladie. Partir ou rester, c’est la grande question que se posent, aujourd’hui, bon nombre des patients expatriés que je reçois, d’autant que la riposte à la pandémie ne prend pas la même forme d’un pays à l’autre. Partir et se rapprocher des siens (sans pouvoir les atteindre souvent), ou rester au risque de devoir possiblement affronter un climat anti-étrangers et l’aléa sanitaire de pays aux systèmes de soins très fragiles.

Au problème de gestion du confinement en lui-même s’ajoute souvent la question de son lieu et de l’éventualité d’un rapatriement/évacuation. En effet, la suppression en cascade des liaisons aériennes avec l’Europe et la fermeture des frontières nourrit la peur d’être pris au piège en Afrique et certains départs massifs, décidés ou subis ont été observés ces derniers jours. Une de mes patientes, vivant en Afrique de l’Est, a dû faire ses bagages du jour au lendemain, sommée de rentrer au pays par l’entreprise de son mari, lui-même assigné à rester sur place.

L’angoisse se lit sur les visages qui apparaissent successivement sur mon écran de consultation. Partir, mais pour aller où ? Beaucoup d’expatriés n’ont nulle part où aller. Certains ont mis leurs affaires dans un garde meuble en partant en poste à l’étranger, ou ont mis leur bien immobilier en location pendant leur absence, rendant leur pied à terre inaccessible. La quarantaine obligatoire se fait en chambre d’hôtel, la plupart du temps. Et ensuite ? L’hospitalité des amis ou de la famille engage une responsabilité considérable. D’autre part, envisager de quitter sa maison dans le pays d’expatriation est aussi source d’inquiétude dans l’éventualité où la situation venait à s’aggraver. Comment ne pas avoir le sentiment d’abandonner ses proches, ses collègues expat ou locaux restés sur place, en rentrant au pays ? Comment protéger ses biens propres en cas d’émeute ?

« Actuellement, il est plus sécure de rester, me disait une patiente au Mozambique. Je ne me vois pas errer dans les aéroports en ce moment, d’autant que rentrer représente 25h de voyage. Le foyer de l’épidémie est là-bas, pas ici. Mais quand la tendance va s’inverser, et que les ressources alimentaires et sanitaires vont manquer, nous serons alors encore plus en danger qu’en Europe. Et si la population locale nous désigne comme responsables ? »

Choisir de rester est une chose. Mais l’évolution du contexte local, notamment la dégradation de la situation sanitaire, sécuritaire ou politique, peut imposer de réviser ses plans. « J’ai l’impression de vivre avec une bombe à retardement » me confiait une autre patiente en Angola. Les systèmes de santé ici ne sont pas accessibles à tous. Si vous n’alignez pas les billets cash sur le comptoir, exigés avant toute entrée dans la salle d’attente, ils vous laissent crever sur place. On essaie d’expliquer aux locaux les gestes indispensables à appliquer, mais la promiscuité est omniprésente dans leur système de fonctionnement : taxis collectifs, minibus. Et quid du manque d’eau ?! comment se laver les mains ? » En effet, l’Afrique entretien une culture du partage, et de solidaritéSe confiner ou se replier sur soi-même est peu admis. Ni financièrement, ni culturellement. De quoi s’inquiéter pour la suite des évènements en Afrique.

Dès lors, que faire ? Cela peut générer beaucoup d’angoisse et une grande perte de repères. Autant de questions, qui sont grandement discutées en séance ces derniers jours, la thérapie en ligne offrant une possibilité de distanciation, dans ce contexte de confinement. L’inquiétude, la lourdeur du replis, l’isolement, et son pendant de promiscuité, les conflits de loyauté liés à la décision de partir ou rester, sont autant de thèmes qui sont travaillés en séance, permettant ensuite un meilleur contrôle des émotions et des prises de décision plus sereines.

Marion Saintgery, psychologue clinicienne, thérapeute de couple et de famille, spécialisée dans les problématiques de l’expatriation et l’accompagnement des humanitaires sur le terrain.

 

EXPATRIATION : CES «SUIVEUSES» EN PERTE D’IDENTITE

Près de deux millions de Français ont fait le choix de partir vivre à l’étranger. La légende raconte que chaque femme qui suit son mari à l’étranger se transformerait en créature oisive partageant ses journées entre le tennis, la manucure, ses déjeuners entre amies et le tea-time dans un luxueux hôtel. Il arrive que derrière le mythe “sexy” de l’expatriation se cache de vraies souffrances : isolement, dépression, perte de repères, conflits identitaires, problèmes de couples qui en découlent, problèmes familiaux. Elles concernent l’expatrié, plus souvent le conjoint, que nous nommerons ici le “suiveur” ou la “suiveuse”.

Le terme «expatrié » signifie « loin de la patrie », et « patrie » vient de pater, le « père ». S’expatrier, c’est perdre ses repères, se séparer de sa terre, et implique donc un travail de deuil qui peut être plus ou moins bien vécu. Le problème spécifique de l’expatrié est qu’il lui est difficile d’en parler, de savoir à qui s’adresser. Il y a parfois la barrière de la langue, mais aussi et surtout : c’est un tabou. En effet, il apparaît indigne de se plaindre lorsque les conditions de vie du suiveur sont vécues par l’entourage resté dans le pays d’origine comme idylliques, avec une situation matérielle reconnue ou fantasmée comme enviable. A cette image de « vie dorée », il faut ajouter la distance et l’irrégularité des liens avec la famille élargie (voire les enfants dans le cas de famille recomposée) et l’entourage qui crée un terrible décalage. Sur place, la communauté des expatriés est souvent très restreinte et fonctionne sur un mode autarcique : tout le monde se connaît, sait tout sur tout… Mais dans le fond, les gens sont réunis par le contexte, par hasard et non vraiment par choix. Ils sont ensemble pour une durée limitée, 2 ou 3 ans. Ce microcosme souvent artificiel ne laisse pas toujours beaucoup de place à une parole sincère. Enfin, il y a parfois un manque de préparation : on est parti sans vraiment mesurer toutes les conséquences de ce changement de vie pour soi et surtout pour son entourage.

Le « suiveur » qui a « tout quitté » pour le projet d’expatriation, encore souvent la femme, a un rôle primordial. Nous prendrons ici pour exemple la femme en tant que suiveuse, en précisant que nous rencontrons de plus en plus d’hommes qui endossent ce rôle. Elle peut être vecteur d’intégration si elle vit positivement ce départ car elle dispose de plus de temps, comme elle peut devenir une source de soucis majeurs si elle vit mal cette situation. Certaines femmes, qui ont quitté leur profession, peuvent mal vivre cette subite inactivité, d’autant plus que tous les aspects de la vie quotidienne sont pris en charge par du personnel sur place. Au sentiment de deuil d’avoir quitté famille et amis s’ajoute une baisse de l’estime de soi. Car alors comment échapper au statut traditionnel de la femme au foyer, qui même dans les tâches quotidiennes, certes peu valorisantes, est secondée par du personnel (dont elle ne peut faire l’économie car on sait combien il est extrêmement mal vu de ne pas créer ce type d’emploi dans le pays d’accueil). De nos jours, une expatriation se prépare et il est aisé d’obtenir beaucoup d’informations au sujet du pays vers lequel la famille va être dirigée, grâce à Internet. Mais rien de peut les préparer à ce qu’ils vont ressentir, une fois arrivés dans le pays d’accueil. Plus la culture du pays d’expatriation est éloignée de l’expatrié, plus le risque de choc culturel est grand. Pour les “suiveuses”, l’expérience peut spécialement se transformer en véritable défi lorsque arrive le jour où leur mari disparaît pour une durée prolongée en voyage d’affaires/mission et que leurs enfants disparaissent dans le bus scolaire. Voici ce que me livrait une patiente: « Je n’avais pas anticipé le flot d’émotions qui me submergerait et le ressentiment envers mon mari qui avait franchi la porte vers une journée de travail qui l’attendait. Je ne m’attendais certainement pas à me sentir si désespérément sans sécurité, si bien que ma seule envie était de rester cachée dans mon lit toute la journée. »

Il y a trois principaux facteurs précipitant derrière cette forme de choc culturel, qui ne cessent de pousser de nombreuses femmes d’expatriés au-delà des limites de leurs zones de confort : – L’abandon d’une carrière : l’indépendance financière a maintenant été remplacée par une totale dépendance vis-à-vis du mari, – La perte de la confiance en soi et de l’estime de soi, typiquement forgées autour de l’identité professionnelle et du feed-back des amis, de la famille, causent de nombreux symptômes tels que fatigue, anxiété, insomnie, colère et ressentiment à l’égard du mari ; – La perte de maîtrise et la crainte d’être mal perçue. Une autre patiente me livrait le choc d’être dorénavant connue sous le nom de « Mme – La femme de – qui travaille chez » et d’être identifiée par le terme non moins flatteur de « trailing spouse » : « femme que l’on traîne derrière soi».

Nos « suiveurs » se vivent donc parfois dans cette aventure comme des passagers clandestins ne correspondant à aucune réalité, financière ou statutaire. Souhaitons que cet article puisse permettre d’une part, aux personnes concernées de se sentir légitimées dans leur mal être, afin qu’elles puissent laisser la place à une parole libératrice, sans honte ou culpabilité, et d’autre part qu’il puisse éclairer l’entourage sur place, et/ou resté dans le pays d’origine, afin de pouvoir accompagner au mieux l’être aimé. La psychothérapie en ligne offre, entre autres, une possibilité d’écoute pour expatriés incompris qui développent une culpabilité de ne pas réussir à s’épanouir dans ce qui est vécu par l’entourage resté dans le pays d’origine, comme une « vie paradisiaque ».

Marion Saintgery, psychologue clinicienne, thérapeute de couple et de famille, spécialisée dans les problématiques de l’expatriation et l’accompagnement des humanitaires sur le terrain.